CHAPITRE III

 

 

 

Karal tapota nerveusement le cou humide de sa monture et se retint de jeter des regards en coin aux gardes valdemariens. Ayant senti son malaise, le cheval piétinait sur place. Karal sauta à terre pour le tenir par la longe, juste sous le menton. L’animal souffla contre sa poitrine, mais se calma dès qu’il fut debout près de sa tête. La brise lui sécha peu à peu le cou.

Karal continua de caresser sa monture, les narines pleines de l’odeur familière des chevaux, qui finit par le rasséréner. Rien de mal ne lui était jamais arrivé en leur compagnie, se rappela-t-il, tenant le sien par la bride comme s’il s’était agi d’un talisman.

Un bon petit hongre. Son maître précédent l’avait bien dressé avant de s’en servir pour payer sa dîme à Vkandis. Sa robe était parfaite et son œil vif. L’ancien propriétaire devait être un homme qui prenait au sérieux ses devoirs envers le Dieu du Soleil, n’envoyant que « les meilleurs fruits de son labeur » comme le demandaient les Ecrits. Tant de gens trichaient pour se débarrasser de l’inutilisable et du superflu…

Une bonne chose pour nous, Trenor…

Le hongre était trop petit et trop léger pour un guerrier, et trop nerveux pour un éclaireur. Alors, il avait été donné au Temple. Karal savait reconnaître un bon cheval quand il en voyait un. Il avait réquisitionné celui-là à l’instant où son maître et mentor avait déclaré qu’il avait droit à une monture.

Le hongre était un beau bai, parfait si on excluait le tempérament qui lui venait d’un ancêtre pur-sang. Il l’avait appelé Trenor, comme son petit frère, qui ne tenait pas davantage en place. Trenor était sans doute le meilleur cheval des écuries des novices. Chaque fois qu’il le montait, Karal ne pouvait s’empêcher de se pavaner sous les regards envieux de ses camarades. Aucun n’avait une meilleure monture, même si les leurs présentaient mieux. Ces gentilshommes se croyaient trop bien pour choisir leur cheval – si tant est qu’ils sachent reconnaître un gentil petit palefroi comme celui-là. Et aucun ne se serait abaissé à lui demander conseil. Ils avaient préféré envoyer un serviteur leur sélectionner une bête « digne de leur rang ».

Leurs fesses payaient le prix de leur fierté, parce que les autres chevaux n’étaient pas des cadeaux. Beaux à regarder, avec leur longue crinière, leur haute stature et leur robe brillante, ils avaient mauvais caractère et les chevaucher s’avérait un véritable calvaire.

Bien sûr, aucun défaut n’était incurable. Karal aurait pu tout arranger. Mais pourquoi l’aurait-il fait, alors que ses camarades ne lui avaient rien demandé et ne méritaient pas son aide ? Qu’ils souffrent ! Vkandis était témoin qu’ils l’avaient torturé de bien des manières.

Mais tout cela était derrière lui… Quand il aurait terminé sa mission de secrétaire auprès de son maître, il serait un prêtre de Vkandis, l’égal de n’importe quel homme à Karse, à l’exception du Fils du Soleil.

Personne ne pouvait lui refuser ce rang, quel que soit son lignage.

Karal regarda le soleil en plissant les yeux.

Nous sommes tous égaux dans la Lumière de Vkandis, se rappela-t-il. Ouais ! Et les vaches ont des ailes et volent comme des faucons !

Trenor voulut piaffer, d’impatience cette fois, mais Karal le tenait d’une main ferme. Il le calma d’un roucoulement. Depuis combien de temps n’avait-il pas vu la version humaine de cette boule de nerfs ? Trois ans ? Non, seulement deux.

Si notre guide ne se montre pas très vite, il sera adulte avant que je ne retourne à la maison !

Une exagération, bien sûr, mais il lui semblait être debout depuis des jours sous le regard impassible des deux jeunes hommes en uniforme bleu et argent. Ulrich et lui attendaient sur un tronçon de route, récemment aménagé pour relier une voie karsite à son homologue valdemarienne. Du côté karsite, deux soldats étaient postés dans un corps de garde placé à la jonction entre l’ancienne et la nouvelle route. De l’autre côté de la frontière, on trouvait la même installation et le même nombre de gardes. Tout ce qui les distinguait, c’était la coupe et les couleurs de leurs uniformes.

La version en vigueur à Valdemar semblait sévère à Karal, habitué à la tenue rouge et or agrémentée d’une large ceinture brodée, d’un turban piqué d’une plume et d’une veste à brocards. Avec leur tunique et leurs braies sans ornements, à part une barrette d’argent ici et un ourlet de la même couleur là, on aurait pu prendre les Valdemariens pour des serviteurs ou des garçons d’écurie.

Ce que j’étais… Et même père s’est toujours vêtu avec plus de goût que ces deux-là.

Le père de Karal n’avait jamais eu de vêtements si simples. Le chef des écuries de Y Auberge du Soleil Levant portait des habits brodés par son épouse et ses filles. Si sa paye n’était pas énorme, il avait une position sociale à défendre. Les vêtements que portait Karal avant d’être emmené par les prêtres du Soleil n’avaient rien de raffinés, mais il n’était qu’un garçon d’écurie de neuf ans. N’ayant pas encore atteint l’âge d’homme, il n’avait rien à prouver.

Si seulement il y avait de l’ombre…

Le soleil qui lui avait semblé si agréable dans les montagnes était ici un fardeau. Ses robes noires l’absorbaient et conservaient sa chaleur. Mais la situation était trop délicate pour que des aménagements aient été conclus entre Valdemar et Karse. Tous les buissons et les arbres avaient été coupés sur vingt pas de chaque côté de la nouvelle route, afin que les gardes voient arriver les voyageurs de loin. Karal comprenait cette nécessité. Il n’aurait pas aimé faire ce travail. Les Karsites étaient visiblement nerveux. Les Valdemariens aussi.

C’était la deuxième fois qu’il voyait un Valdemarien, une de ces Créatures de l’Enfer…

Non, pas une Créature de l’Enfer. Sa Sainteté, le Fils du Soleil, Solaris, a dit que tout ça n’était qu’une invention des prêtres corrompus. Ce ne sont pas des Créatures de l’Enfer mais des êtres humains – différents de nous, voilà tout.

Mais il était difficile de se défaire d’une pensée ancrée en lui depuis sa naissance. Et si ça l’était pour lui, ce devait l’être encore plus pour les militaires. Qu’avaient-ils éprouvé en apprenant soudain que leurs ennemis de toujours, par décret divin, étaient devenus leurs alliés ? Qu’ils n’étaient pas des démons et n’en avaient jamais été ?

Une guerre qui avait tué des milliers de gens sur des générations n’aurait jamais dû commencer et aurait pu être arrêtée depuis longtemps !

Karal soupira. Son maître descendit de sa mule. Ulrich n’était pas un bon cavalier… mais un puissant Prêtre-Mage. Il devait pouvoir lâcher les rênes de sa monture à tout instant, sachant qu’elle ne bougerait pas, quoi qu’il arrive. La mule – Ulrich l’appelait Abeille, parce qu’elle était douce, avec un certain piquant – était plus âgée que Karal. Le jeune homme l’aimait bien et il la savait capable de tirer Ulrich de n’importe quelle situation. Rien – que ce fût un orage ou une apparition – ne l’effrayait. Elle savait quand se battre et quand fuir, et elle avait le pas sûr.

Mais elle était ennuyeuse à chevaucher. Si Karal n’aurait pas pu trouver de meilleure monture pour son maître, il ne l’aurait jamais choisie pour lui-même.

— Patience, Karal, dit Ulrich à voix basse. Notre guide arrivera d’un moment à l’autre. Il sera surpris de nous trouver là. Nous sommes arrivés en avance. Tu pourras t’inquiéter s’il ne se montre pas avant le coucher du soleil.

Karal inclina la tête. Ulrich avait sans doute raison, mais…

— Il me paraît impoli de vous faire attendre à la frontière. Vous êtes l’ambassadeur de Sa Sainteté. Et vous déléguer un simple guide… Cela me semble une insulte. Ne devrions-nous pas avoir des gardes à foison, peut-être même un membre de la cour…

Ulrich leva la main pour l’arrêter.

— Nous sommes deux voyageurs venus du sud qui portent des robes de prêtre. Si la reine Selenay nous affectait une escorte impressionnante, que penserait-on ? Que nous sommes les ambassadeurs de Sa Sainteté, bien sûr. Or, il y a sans doute encore des gens qui estiment que la guerre entre nos deux nations n’est pas terminée.

Il attendit que Karal imagine les périls auxquels ils s’exposaient. Une meute de frontaliers en colère, ou même un seul fou, pouvaient décider de les tuer pour écraser l’Alliance dans l’œuf. Des mercenaires risquaient de les assassiner, histoire que la guerre continue, leur garantissant un emploi. Et le danger ne venait pas seulement de Valdemar. En les tuant, un Karsite pouvait espérer raviver les flammes de la « guerre sainte contre les Créatures de l’Enfer ».

Karal secoua tristement la tête.

— C’est pour ça que je suis ambassadeur et que tu n’es que secrétaire, mon garçon ! J’ai demandé qu’on nous envoie un simple guide, quelqu’un de fiable. Pour avoir une idée pareille, je crains qu’il faille avoir trempé des années dans l’infamie et le mensonge…

Ulrich tapota l’épaule d’Abeille, qui soupira d’aise. Il désigna leurs montures et leur équipage.

Pour le moment, Karal et lui portaient leurs tenues les plus simples.

— Tels que nous sommes vêtus et accompagnés d’un guide… Certes, nous sommes à l’évidence des prêtres étrangers, mais nous pourrions venir de n’importe où. A moins d’avoir la malchance de tomber sur une personne qui a déjà vu un prêtre du Soleil, nul ne reconnaîtra nos robes et notre médaillon. Valdemar grouille d’étrangers qui sont escortés jusqu’à Haven. Nous n’attirerons pas l’attention.

Karal ne répondit pas. Mais pour une fois, il pensa qu’Ulrich avait tort. Il jeta un bref coup d’œil aux gardes valdemariens, compara leurs vêtements aux leurs et parvint à une tout autre conclusion.

Ils étaient habillés avec une grande modestie par rapport aux magnifiques atours qu’ils revêtiraient une fois dans la capitale. Mais il y avait des moyens de les reconnaître…

Ils arboraient au bout d’une chaîne en or leur médaillon de Vkandis : un disque en or gravé d’un soleil flamboyant. Combien de gens portaient une telle quantité d’or ? Et existait-il une autre secte qui eût un soleil pour blason ? Leurs vêtements avaient une coupe typiquement karsite. Karal n’avait jamais vu un étranger venu se présenter devant Sa Sainteté avec quoi que ce fût qui ressemblât à leur costume…

Je suppose que je m’inquiète trop… Ulrich a raison. Si ce que nous avons entendu dire est vrai, beaucoup d’étrangers arrivent quotidiennement à la cour et certains sont si exotiques qu’on ne nous accordera pas plus d’un regard.

Ulrich n’avait rien de remarquable. Les novices ne faisaient pas attention à lui, persuadés qu’il était un prêtre sans importance. A vrai dire, son apparence et son comportement étaient ceux d’un homme très ordinaire. De taille moyenne, il n’était ni jeune ni vieux, ni beau ni laid, ni musclé ni squelettique. La vivacité de son regard n’allait pas avec l’allure débonnaire que lui donnaient sa barbe, ses cheveux gris et son expression perpétuellement avenante. Une expression qui pouvait changer en un clin d’œil pour devenir implacable.

Il n’y avait pas de « type » valdemarien. Un des gardes était longiligne et brun, l’autre blond et musclé. En revanche, les deux Karsites étaient faits sur le même moule : des cheveux noirs, des yeux sombres et des traits anguleux.

Peut-être était-ce bien ainsi. Les gens penseraient qu’ils étaient parents. Oui, c’était parfait. Peu de non-karsites devaient savoir qu’un prêtre du Soleil n’était tenu ni au célibat ni à la chasteté, bien qu’ils fussent nombreux à choisir les deux. Si Ulrich et lui étaient pris pour un père et son fils, personne ne verrait en eux deux prêtres du Soleil.

Karal se massa les tempes. Ces réflexions lui donnaient la migraine. Ulrich lui tapota l’épaule sous le regard impassible des gardes.

— Ne t’inquiète pas tant, mon garçon, dit-il avec une lueur de sympathie dans le regard. Essaie de t’habituer à ce pays avant de chercher à voir les intrigues et les dangers cachés. Tu auras déjà bien assez de mal avec tout ce qui te semblera étrange.

Le prêtre du Soleil – un Robe Rouge qui avait été un Robe Noire, un des prêtres détenteurs de grands pouvoirs et capables d’invoquer les démons – regarda derrière lui et soupira.

— Tu as connu tant de changements au cours de ta courte existence. Je suis sûr que tu te feras plus facilement que moi à l’endroit où nous allons. A tes yeux, tout ça doit être une grande aventure.

Karal ravala une réponse acide. Il y avait pire que cet exil volontaire : rentrer au pays frappé du sceau de la disgrâce. Mais il ne voyait pas cela comme une « aventure », ni grande ni petite. Au fond, il était plutôt casanier. Sa définition d’une vie réussie ? Avoir quelques succès dans ses fonctions d’érudit, trouver une partenaire parmi les prêtres de sexe féminin, puis devenir vieux et sage, entouré de ses enfants et petits-enfants. Oui, il avait connu des changements depuis qu’il avait été arraché à sa famille, alors qu’il avait neuf ans. Mais même si son monde avait explosé quand il en avait douze, ça ne l’avait pas préparé aux bouleversements qu’il avait connus à treize, quatorze, quinze, et maintenant seize ans.

En fait, depuis quelque temps, il était troublé en permanence. Et si stressé que cela devait se voir.

N’est-ce pas une malédiction barbare : souhaiter à quelqu’un que sa vie soit intéressante ? S’il avait pu trouver celui qui lui avait fait cela, il l’aurait supplié de lever sa malédiction ! Car il trouvait assez d’excitation dans les livres.

A neuf ans, la vie de garçon d’écurie lui convenait parfaitement. Il adorait les chevaux et rêvait de succéder à son père. Il avait deux sœurs, l’une plus vieille et l’autre plus jeune, qu’il tourmentait et taquinait, comme tous les garçons de son âge, et un petit frère qui le suivait partout, de l’adoration affichée sur son visage joufflu. Ils avaient toujours eu assez à manger et si la nourriture était simple, eh bien, beaucoup de gens n’en avaient pas autant, et il le savait. Il était heureux, et n’éprouvait pas le moindre désir de changement.

Aujourd’hui, il avait vu suffisamment de familles pour savoir que la sienne était idyllique, comparée à nombre d’autres. Ses parents étaient tout aussi prompts à féliciter qu’à réprimander. Peu importait la bêtise qu’il avait faite, il pouvait compter sur leur pardon s’il se montrait repentant. Son père était fier de lui et lui enseignait tout ce qu’il savait sur les chevaux. Son univers était plein de choses et de gens qu’il aimait. Qu’aurait-il pu souhaiter de plus ?

Un seul nuage planait au-dessus de leur bonheur : la Fête des Enfants. Une fois par an, les parents étaient priés d’amener leurs rejetons au Temple pour qu’ils soient examinés par les prêtres du Soleil. Un enfant était évalué chaque année, de cinq à treize ans. La Fête était synonyme de peur pour les parents. Ceux de Karal la craignaient tout particulièrement, car l’un et l’autre avaient vu un de leurs frères être brûlé vif parce qu’il avait des « pouvoirs de sorcière ». Ils tremblaient à l’idée qu’un de leurs enfants soit emmené ou pire, livré aux Feux. Même ceux dont la vie était épargnée ne revoyaient jamais leur foyer. C’était la méthode des prêtres du Soleil. Et il en avait « toujours » été ainsi.

Karal n’ayant pas retenu l’attention des prêtres pendant quatre ans, ses parents avaient commencé à se rassurer – pour lui, sinon pour son frère et ses sœurs. Karal lui-même avait fini par croire que la Fête ne signifierait jamais plus qu’une poignée de sucres d’orge – les Flammes de Vkandis – que distribuaient les serviteurs du Temple après l’examen.

L’année de ses neuf ans, son monde et ses certitudes avaient basculé.

Un nouveau prêtre – un Robe Noire, pas un Robe Rouge – l’avait regardé en plissant les yeux…

… et voué au service du Dieu du Soleil.

Un instant il était en rang avec les autres. Le suivant, une main s’était posée sur son épaule et deux serviteurs l’avaient entraîné dans le Temple, derrière l’autel, où aucun citoyen n’allait jamais.

Karal ne se souvenait pas de cette journée, ni même de la semaine qui avait suivi – peut-être un effet du choc, ou de la potion que le prêtre lui avait fait prendre pour le calmer. Aucun autre enfant n’ayant été choisi dans sa ville natale, il était parti seul en exil. JJ se rappelait vaguement un chariot obscur qui s’arrêtait de temps en temps pour qu’un gamin aux pupilles dilatées y monte. Comme lui, ces gosses n’avaient pas eu droit à leur poignée de bonbons, mais à une coupe de breuvage amer qui les avait plongés dans une étrange torpeur. Ils s’étaient réveillés dans un endroit sinistre : le Cloître des Enfants, où ils étudieraient jusqu’à ce qu’ils soient acceptés comme novices ou deviennent des serviteurs.

Ou jusqu’à ce que quelqu’un décrète qu’ils avaient des pouvoirs de sorcier. Karal frissonna, le froid s’insinuant en lui, comme si le soleil avait perdu le pouvoir de le réchauffer.

Karal avait fini par accepter de ne jamais plus revoir les siens, et d’être entré dans une famille bien plus vaste : la Fraternité de Vkandis. Ses geôliers l’avaient laissé se rebeller, et même tenter de s’échapper – une fois. Bien sûr, il n’avait pas réussi – personne n’y était jamais arrivé. Un démon de feu l’avait arrêté à la grille et l’avait poursuivi jusqu’au Cloître des Enfants. Il n’avait pas fait de deuxième tentative, même s’il savait que certains s’y étaient risqués. Karal s’était résigné. Puis les leçons avaient commencé. La plupart des enfants réussissaient tout juste à apprendre à lire et à écrire. A dix ans, ils devenaient des serviteurs. Parmi les rares élus, quelques-uns étaient emmenés par les prêtres pour des « leçons spéciales », qui n’avaient rien à voir avec la poursuite du savoir. Certains d’entre eux étaient livrés aux Flammes. Karal et les autres avaient assisté aux exécutions. Les trois bûchers qu’il avait vu flamber lui donnaient encore des cauchemars.

Karal avait brillamment poursuivi ses études, sans pour autant être retenu pour les « leçons spéciales ». Il aimait apprendre. Très vite, il avait dépassé ses condisciples et été admis dans un autre groupe composé d’enfants de la noblesse envoyés à Vkandis par leurs parents en guise de dîme. Ayant reçu un enseignement depuis leur plus tendre enfance, ils avaient vu d’un mauvais œil l’intrusion dans leur univers de ce fils de pauvre.

Il fallait bien qu’ils passent leur ressentiment sur quelqu’un. Alors, il était devenu leur souffre-douleur à l’insu de leurs professeurs. Karal étant un étudiant brillant, ils ne pouvaient rien contre lui en classe. Mais dehors, il devenait la cible de tous les mauvais coups qu’ils pouvaient inventer sans s’attirer les foudres de leur surveillant.

Karal secoua la tête pour chasser ces souvenirs pénibles. Rien de tout cela n’avait d’importance à l’époque, et ça n’en a pas plus maintenant.

L’important, c’était qu’il soit devenu un novice malgré l’opposition des autres. Et quand le temps était venu d’être choisi par un mentor, il avait été sélectionné par le Robe Noire qui l’avait remarqué au cours de la Fête des Enfants.

Désormais, il savait ce que signifiait cette couleur. Son maître était un Prêtre-Mage : il utilisait la magie au nom de Vkandis et invoquait les démons.

Il aurait été terrifié si Ulrich ne s’était pas montré tellement gentil avec lui. Depuis, chaque matin, il remerciait Vkandis de lui avoir donné un si bon maître. Ulrich avait une position assez élevée pour que ses condisciples n’osent plus le tourmenter, se contentant de l’ignorer.

Karal s’en fichait. Son maître, un érudit, lui confiait des tâches convenant à sa nature. Et quand il avait appris son amour des chevaux, il lui avait permis de choisir une monture avant les autres. Ulrich s’arrangeait même pour qu’il puisse passer une ou deux heures par jour avec Trenor. Pendant quelques semaines, la vie de Karal avait été parfaite, et il avait commencé à croire que tout était rentré dans l’ordre.

Il avait connu deux grands bouleversements – être arraché à sa famille puis être intégré, bon gré mal gré à un groupe d’étudiants d’une classe sociale infiniment supérieure à la sienne. Aujourd’hui, il vivait le troisième. Mais cette fois, son Ordre « souffrait » avec lui.

Vkandis – le dieu Lui-même – avait choisi une femme pour devenir le Fils du Soleil, agissant de telle manière que personne ne puisse contester cette nomination. Cette femme, Solaris, avait mis la hiérarchie sens dessus dessous, puis affirmé que certaines pratiques en vigueur depuis des générations, étaient des perversions de la Parole et de la Volonté de Vkandis.

Ulrich approuvait. Il était même un des plus fervents soutiens de Solaris. Donc, son protégé devait l’être aussi.

Non que ces changements me déplaisent… Un des premiers décrets qu’elle a passés permet aux novices d’avoir des contacts avec leurs parents et de leur rendre visite. Jusque-là, les enfants emmenés par les prêtres n’avaient plus le moindre contact avec leur famille. Aujourd’hui, Karal avait le droit d’écrire à la sienne et de lui rendre visite deux fois pas an, un privilège impensable sous les anciennes Règles. Et quand Solaris avait nommé Ulrich pour la représenter à Valdemar, elle avait permis à Karal de prendre une semaine de vacances avec les siens avant de suivre son maître. Depuis quand un Fils du Soleil s’inquiétait-il d’une réalité aussi triviale que les besoins d’un simple novice ?

Se souriant à lui-même, Karal caressa le cou de Trenor. La première fois qu’il était retourné chez lui, il avait passé quinze jours mémorables. Sa mère avait été si fière de lui… Et son père ! Son fils était le secrétaire d’un puissant prêtre. Son fils connaissait tous les secrets des privilégiés. Son fils côtoyait des gens et vivait des choses dont il ne pouvait que rêver.

Après que Solaris eut commencé sa révolution et que Karal fut rentré de sa première visite familiale, Karse s’était découvert un nouvel ennemi : le roi Ancar d’Hardorn. Ancar avait lancé une attaque massive contre la frontière, ce qui ne s’était jamais produit. Le pays entier avait été en état de choc. Si les Karsites faisaient des raids de l’autre côté des frontières hardornienne et valdemarienne, il n’y avait jamais eu d’attaque de leur côté.

Les escarmouches avaient tourné à la guerre, et Karse s’était découvert le plus faible des deux belligérants. Même les Robes Noires ne pouvaient rien contre Ancar et ses mages.

Solaris l’avait prédit, mais on ne l’avait pas crue. Elle avait profité de la gêne de ceux qui s’étaient défiés d’elle pour tenter une manœuvre sans précédent : se gagner un nouvel allié auquel même Ulrich n’avait pas pensé.

Valdemar.

Valdemar, patrie des Démons Blancs et des Chevaux des Enfers. Valdemar, royaume des Créatures des Enfers, qui avait donné asile aux Holds, les ennemis jurés de Vkandis.

Une fois de plus, Vkandis avait approuvé avec des signes que nul n’aurait pu contrefaire.

Par décret de Solaris et de Vkandis Lui-même, Valdemar était devenu un royaume habité par des alliés de Karse à l’esprit noble malgré leurs errements philosophiques. Un miracle que Solaris ait trouvé assez de fidèles dans ses rangs pour que le traité devienne une réalité ! Juste à temps pour empêcher Ancar d’Hardorn de les écraser, elle, Selenay et leurs deux pays.

Secrétaire d’Ulrich, Karal avait été au courant de tout, du plan initial aux négociations complexes, en passant par l’investiture du Héraut de la Reine de Valdemar au rang de Prêtresse de Vkandis. Tout cela l’avait laissé haletant, et si ébahi qu’il pouvait seulement regarder les événements avec des yeux ronds en s’accrochant des deux mains à sa santé mentale. Aujourd’hui, avec l’avènement de la paix, il était plus difficile que jamais de réaliser que les Démons d’hier étaient désormais les meilleurs amis de Karse…

— Je crois que notre guide est arrivé, dit Ulrich, interrompant le cours des pensées de Karal.

Le jeune homme leva les yeux, les protégeant d’une main, et regarda en direction de la route. Un instant, il ne vit rien, à cause du soleil et de la poussière. Puis il capta un mouvement, et enfin, il distingua un cavalier.

Difficile de ne pas le remarquer, malgré le soleil aveuglant. Entièrement habillé de blanc, sa monture aussi était d’un blanc plus pur que celui des nuages.

Il ne s’agissait pas d’un voyageur ordinaire. Ses vêtements d’excellente qualité – il n’était pas facile de garder de tels habits immaculés – avaient l’air d’un uniforme. Mais les couleurs de Valdemar étaient l’argent, le bleu et le blanc…

Alors que l’homme approchait, Karal nota la qualité du harnachement de son cheval, teint en bleu et argent, comme les uniformes des gardes qui attendaient le cavalier avec une grande déférence. En soi, c’était intéressant. Cela signifiait-il qu’il était de plus haut rang qu’un ambassadeur, ou qu’ils ignoraient l’identité d’Ulrich ?

Eh bien, cela n’avait sans doute pas d’importance…

L’homme s’arrêta mais ne mit pas pied à terre. Il se pencha sur sa selle pour parler aux gardes. Karal se laissa aller à admirer son cheval. Il avait un crâne large, ce qui en disait long sur son intelligence. En plus – certains auraient considéré cela comme un défaut – la bête était d’une beauté extraordinaire. Il n’avait jamais vu un cheval d’un blanc si pur qu’il semblait luire, comme s’il venait d’être lavé… Et comment les Valdemariens réussissaient-ils à obtenir des sabots argentés ? Il ne pouvait pas s’agir de peinture. Elle aurait endommagé et déformé les sabots. Seul un idiot aurait pris un tel risque avec une bête pareille.

Pendant que le cavalier parlait avec les gardes, le cheval changea de position, comme pour mieux voir les Karsites. Ses mouvements étaient aussi gracieux que lui. Il arqua le cou et sa crinière ondula, comme s’il avait été conscient de l’effet qu’il produisait.

Parfait ! Ce fut le seul mot qui vint à l’esprit de Karal, et il se réjouit de passer plusieurs jours sur la route en compagnie d’une bête aussi magnifique.

Après une brève conversation avec les gardes, l’homme en blanc leur fit signe d’approcher. Maintenant qu’il avait bien observé le cheval de loin, Karal fut content de se remettre en selle et de suivre Ulrich. Il en avait assez d’attendre !

Mais ce n’est sans doute pas la dernière fois que ça m’arrive…

Leur guide avait des cheveux blonds qui grisonnaient aux tempes, une mâchoire carrée, des yeux noisette et un nez qui avait dû être cassé. Il montait avec une grande raideur, un détail bizarre, comparé à la grâce de son cheval.

L’homme hésita un instant, puis il tendit la main à Ulrich.

— Ambassadeur Ulrich ? demanda-t-il, sa monture parfaitement immobile sous lui, telle une statue d’albâtre, comme si aucune bête étrangère n’approchait. Je suis votre guide. Vous pouvez m’appeler Rubrik.

Le cheval a les yeux bleus, constata Karal, déçu. La plupart des créatures blanches aux yeux bleus étaient sourdes. Etait-ce le défaut de ce cheval si parfait ? S’il n’entendait pas, cela pouvait expliquer son immobilité.

Ulrich serra la main de l’homme tandis qu’Abeille lorgnait le cheval aux yeux bleus, s’attendant probablement à ce qu’il la morde. Le karsite de leur guide était parfait ; bien meilleur que le valdemarien de Karal. Il n’avait presque pas d’accent et ne semblait pas devoir se traduire ses phrases avant de les dire.

— Vous parlez très bien notre langue, dit Ulrich. J’espère que vous voudrez bien m’excuser, mais je suis loin de maîtriser la vôtre aussi bien. « Voici mon secrétaire, Karal. L’homme tendit la main à Karal. La poignée de main de Rubrik était ferme et chaude, et n’avait rien d’une épreuve de force.

Karal décida qu’il aimait bien ce Valdemarien.

Rubrik regarda le soleil en plissant les yeux.

— Vous avez déjà fait une longue route, et je suis sûr que vous savez que votre voyage est loin d’être terminé, ambassadeur. Le temps, à Valdemar, n’est pas très stable. Nul ne peut dire si le ciel restera dégagé. J’aimerais continuer pendant qu’il l’est, si vous n’y voyez pas d’inconvénient.

— Aucun. Vous serez uniquement limité par le nombre de lieues que nos bêtes peuvent parcourir en un jour. Mon secrétaire et moi sommes de bons cavaliers et nous n’aurons aucun mal à rester en selle de l’aube au crépuscule.

Karal tressaillit. Il était loin d’être aussi optimiste qu’Ulrich. Avec un peu de chance, Rubrik ne prendrait pas son mentor au mot.

— Solaris a bien choisi son ambassadeur, dit-il. Si vous voulez me suivre…

Le trio passa devant les gardes. Pour la première fois de sa vie, Karal mit les pieds dans un pays étranger.

Karal s’était attendu à éprouver… quelque chose… dès qu’il aurait passé la frontière. Une différence dans l’air, ou en lui. Il avait pensé que cette terre étrangère ne ressemblerait pas à Karse, que les arbres et l’herbe seraient d’une drôle de couleur, et que les gens y auraient un autre aspect. Bien sûr, il n’y avait aucune raison de croire une telle chose…

… Mais les émotions ne répondent à aucune logique, je suppose.

Alors qu’ils chevauchaient vers le nord, il découvrit qu’il aurait pu être toujours à Karse. Les collines étaient identiques à celles qu’ils avaient traversées. Il flottait dans l’air la même odeur de poussière chauffée au soleil mêlée à celle du parfum des églantiers qui bordaient la route.

Les gens qu’ils croisèrent ne semblaient pas non plus si différents de lui, même s’il paraissait évident qu’ils n’étaient pas karsites. Leurs vêtements étaient d’une simplicité extrême : un style sévère, même, dans des tons de bruns et de gris. Les couleurs de la terre… Aucun Karsite n’aurait jamais porté de telles non-couleurs, à moins d’être très pauvre ou sur le point d’entreprendre une tâche très salissante. Même pour travailler dans les champs, ses compatriotes aimaient les indigos et les safrans… Mais pas ces gens-là.

Ils virent beaucoup de fermiers, les uns occupés à faire les foins, les autres à garder les cochons ou les oies ou à travailler dans leur potager. Les animaux tournaient la tête pour les regarder passer.

Mais les gens les ignorèrent, allant jusqu’à tourner le dos à la route pour marquer leur désapprobation.

— Des Holds, dit Rubrik la troisième ou quatrième fois qu’on se détourna sur leur passage. (Leur guide soupira.) Je suis désolé. Ils n’aiment pas beaucoup les représentants de la reine… A peine plus, en fait, qu’ils n’aiment les Karsites. S’ils le pouvaient, ils créeraient leur propre pays, qu’ils entoureraient d’un mur infranchissable.

Ulrich sourit et des rides apparurent aux coins de ses yeux.

— Eh bien, mon pays est sûrement beaucoup mieux sans eux. Je suis au courant de leur histoire. Ils semblent être une épine dans votre pied.

Rubrik haussa tristement les épaules.

— On ne peut pas dire qu’il ne vient jamais rien de bon d’eux… Le Héraut de la Reine, dame Talia, est d’origine hold. A part ça, ce sont des gens très déplaisants, et j’aimerais qu’ils soient très loin de ce royaume.

Karal resta silencieux pendant ce dialogue, étudiant leur guide pour essayer de deviner pourquoi il chevauchait avec tant de raideur. Comment un si mauvais cavalier pouvait-il avoir une si bonne monture ? Tellement habituée à lui, en plus, qu’elle palliait ses lacunes…

Soudain, alors que Rubrik montrait du doigt un vol de canards poursuivi par un aigle, la réponse s’imposa d’elle-même.

Le bras droit de Rubrik ne semblait pas pouvoir se lever davantage qu’à hauteur d’épaule. Le côté droit de son visage paraissait… « mort ». Mais si sa jambe droite restait très raide dans l’étrier, la gauche était positionnée comme celle de tout bon cavalier.

Rubrik avait été blessé ou il avait eu une attaque cérébrale. En partie paralysé… Le tic, au coin de son œil droit, confirma sa déduction à Karal.

Rubrik avait besoin d’une monture entraînée pour compenser ses faiblesses. L’admiration de Karal pour le cheval augmenta encore, car il devait être aussi intelligent que ceux, légendaires, des Shin’a’in.

Il fut surpris de constater que le cheval de Rubrik n’était pas un hongre mais un étalon. Pourtant, il ne montrait aucun intérêt pour Abeille, une mule, certes, mais quand même une femelle. Quel genre de dressage pouvait faire acquérir pareil contrôle à un animal ?

Il aurait bien posé la question à Rubrik, si son mentor ne l’avait pas entraîné dans un débat politique. Une bonne moitié des noms qu’Ulrich employa ne dit rien à Karal. Les autres, il les reconnut pour les avoir écrits ou lus dans la correspondance de son maître.

Je suppose qu’il se passait plus de choses, au cours de ses conférences privées, qu’il ne me l’a laissé entendre.

Non que cela le surprît !

Il réprima sa curiosité et écouta les deux hommes, car cela aussi faisait partie de son travail : apprendre autant de choses que possible.

Finalement, Ulrich se lassa de poser des questions – ou il décida d’assimiler ce qu’il avait appris.

Ils avaient laissé derrière eux les terres cultivées. Si quiconque exploitait celles qu’ils traversaient, c’était pour le bois ou pour y faire paître des troupeaux. Le silence tomba sur les trois cavaliers, seulement brisé par les bruits de la faune et par le martèlement des sabots de leurs montures.

Karal s’aperçut de quelque chose. Alors que les sabots de Trenor et d’Abeille produisaient un son mat parfaitement normal, ceux du cheval de Rubrik émettaient un tintement de clochette.

Les Valdemariens devaient traiter les sabots de leurs montures… Sinon, comment expliquer leur lustre argenté et leurs sabots musicaux ?

La route suivait les contours du terrain, serpentant dans les vallées, entre les collines. Parfois, Karal sentait le musc d’un bouc ou voyait des taches blanches qui devaient être des moutons. Le reste du temps, ils étaient entourés de grands arbres qui bordaient sûrement la voie depuis des décennies. Il y avait surtout des chênes, mais on voyait parfois un sapin, un mélèze ou un hêtre. Par endroits, l’ossature calcaire des collines affleurait.

Si la forêt n’abritait pas d’habitations humaines, de nombreux animaux y vivaient. Des écureuils les haranguaient au passage et des chants d’oiseaux montaient des branches des arbres. Les croassements des jais et des corbeaux annonçaient au monde entier la présence d’intrus.

Karal vit un aigle fondre sur une proie, au beau milieu de la route, et repartir avec un serpent entre les serres.

Alors que le soleil disparaissait derrière les arbres, ils longèrent une rivière. Karal l’apercevait par moments entre les troncs, l’onde reflétant la lumière et parant les buissons de scintillements cristallins.

A cette heure, malgré l’assertion de son maître, convaincu qu’ils pouvaient rester en selle de l’aube au crépuscule, Karal commençait à se sentir courbatu. Ses fesses étaient endolories, les muscles de son dos et de ses épaules durs comme du bois. Il commença à se demander quand Rubrik voulait s’arrêter… ou comptait-il chevaucher toute la nuit ?

Mais comme il n’y avait ni ville ni village devant eux, ils ne pouvaient pas s’arrêter.

Je n’ai rien contre un peu de camping… mais Ulrich est trop vieux pour ça, pensa Karal, non sans ressentiment, car il estimait que le confort de son maître était plus important que son bien-être à lui. Nous n’avons ni tente ni couverture. Cet homme en blanc ne s’attend sûrement pas à ce que l’ambassadeur du Fils du Soleil dorme sur un tas de feuilles, enroulé dans son manteau comme un vagabond !

— J’espère atteindre le village juste après le coucher du soleil ! annonça Rubrik. Si vous ne pensez pas pouvoir aller jusque-là, dites-le-moi, mais j’ai pris des arrangements, et une suite vous y attend.

« Sans vouloir vous offenser, ajouta-t-il avec une grimace d’excuse, j’aimerais que très peu de gens connaissent votre identité et votre mission. Le meilleur moyen de voyager discrètement, c’est d’empêcher les curieux de vous voir.

— Je partage cet avis, dit Ulrich. Moins il y aura de personnes qui savent que deux prêtres du Soleil empruntent ces routes, mieux ce sera. C’est pour ça que j’ai demandé un simple guide à la reine Selenay.

« Mais j’ai une confession à vous faire : je crains d’avoir présumé de mes forces. (Il secoua tristement la tête.) Nous avons l’habitude de chevaucher longtemps, mais il semble qu’il y ait une grande différence entre presque toute la journée et toute la journée.

— Si cela peut vous encourager, sachez que j’ai demandé qu’on vous serve un repas chaud dans votre suite, répondit Rubrik avec un sourire engageant. Et un bain tout aussi chaud.

— Je ne dirais pas non à un flacon de Uniment pour chevaux, messire, fit Karal.

— Oh, j’ai ce qu’il faut… Du baume décontractant, ce qui est encore mieux, jeune homme ! répondit leur guide en se tournant pour lui jeter un regard surpris, comme s’il avait oublié qu’il était là.

Karal en fut très content et nullement offensé. Si Rubrik avait oublié sa présence, ça signifiait qu’il avait acquis la faculté de se rendre invisible, comme tout bon secrétaire le devait. Surtout quand l’interlocuteur qui approchait son maître craignait de parler devant une tierce personne.

— J’apprécierais beaucoup, seigneur Rubrik, répondit-il en inclinant poliment la tête.

— Pas de « seigneur », mon garçon ! Juste « Rubrik » ! Chez nous, personne ne porte de titre – à l’exception de dame Elspeth, la fille de la reine. Mon père était… une sorte de cultivateur.

— Ah ? (Cette remarque avait éveillé l’intérêt d’Ulrich.) Et que cultivait-il, si je puis me permettre de poser la question.

— Des tubercules, surtout, même s’il faisait aussi pousser quelques herbes…

Les deux hommes se lancèrent dans une conversation sur les fermes et les conditions de vie des paysans dans leurs pays respectifs. Ils parlèrent aussi du temps, Rubrik demandant s’il avait autant affecté les récoltes à Karse qu’à Valdemar.

Karal se demanda s’il avait conscience de leur fournir de nombreuses informations grâce à ses questions.

La lune se leva, revêtant la route d’une patine argentée. Karal écoutait et prenait mentalement des notes. Si ce que Rubrik disait était vrai, Valdemar avait souffert du mauvais temps jusqu’à récemment – des orages et d’autres perturbations qui n’étaient pas de saison, dus à la sorcellerie pratiquée par les mages d’Ancar.

— Maintenant que nous avons des mages capables d’agir sur le climat, tout redeviendra normal, conclut Rubrik. Et peut-être même à temps pour sauver les récoltes.

S’il avait espéré entendre un discours similaire de la part d’Ulrich, il dut être déçu.

— Vkandis a toujours pris soin de ses fidèles, répondit l’ambassadeur.

Il faisait suffisamment noir pour que Karal n’ait pas besoin de cacher son sourire derrière sa main. Si cette réponse était à double sens, c’était aussi la vérité ! Vkandis veillait réellement sur le bien-être de Son peuple. Si Ses prêtres ne pouvaient pas résoudre un problème en utilisant les pouvoirs qu’il leur avait donnés. Il s’en occupait personnellement. Karse n’avait presque pas souffert de ce qu’Ulrich appelait un « temps de mage », parce que des prêtres capables de contrôler le climat avaient été chargés de protéger les hommes, les récoltes et les biens.

Si cette phrase sibylline surprit Rubrik, il n’en laissa rien paraître. Mais il décrivit les dégâts subis par Hardorn, qui avait bien plus souffert que Valdemar.

Ulrich avait enseigné à son secrétaire que l’utilisation intempestive de la magie, à l’extérieur de bouchers protecteurs, perturbait le temps. Mais Karal n’en avait encore jamais eu la preuve. Maintenant qu’il entendait ce récit, il était stupéfié par les destructions que cela entraînait. Et Ancar n’avait rien fait pour empêcher ces horreurs.

— Ah, regardez ! s’écria Rubrik. (Karal plissa les yeux pour mieux voir dans le noir.) Voilà notre auberge. Nous y serons dans moins d’une heure !

— Ce ne sera pas trop tôt pour moi, soupira Ulrich.

Ni pour moi, pensa Karal. Il avait le postérieur meurtri à force d’être en selle, ce qui ne lui était pas arrivé depuis sa plus tendre enfance. Les lumières, dans le lointain, devenaient plus brillantes et plus accueillantes, mais il lui était de plus en plus difficile d’ignorer la douleur. Personne ne lui avait jamais dit qu’être le secrétaire d’un ambassadeur impliquait ce genre de torture !

J’espère ne plus jamais devoir chevaucher ainsi aussi longtemps que je vivrai !

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